Habent papam (et cela les regarde, pas nous)
Habent papam (ils ont un pape)
Ce mercredi soir, j'ai voulu regarder (toujours d'un œil critique) le journal télévisé sur la 2.
30 minutes de vide absolu (la place St Pierre de Rome), et 5 minutes de prière publique, sur une chaîne du service public.
Bien sûr, cela heurte l'exigence de laïcité qu'ont les républicains convaincus.
Regardons malgré tout ce qui se passe, au-delà de cette nécessaire réaction.
On parle d'élire un « souverain pontife ». Il s'agit bien de l'élection d'un monarque, nommé à vie, qui va régner sur un Etat bien réel -le Vatican-, et sur un Etat dispersé, une diaspora (terme qui n'est pas réservé qu'aux juifs), cette diaspora prenant le nom d'Eglise.
Et l'effervescence médiatique est bien la même que celle qui entoure toute intronisation d'une nouvelle tête couronnée, tout événement ayant trait à une famille monarchique (et de préférence, pour les medias, européenne).
Ce souverain est d'ailleurs traité comme un chef d'Etat par tous ses pairs, de par le monde.
Là où l'Eglise est forte, depuis le début de sa reconnaissance officielle et de sa liaison substantielle avec le pouvoir politique, par l'empeur romain Constantin, au début du IVème siècle de notre ère, c'est qu'elle a toujours joué sur l'ambiguïté entre pouvoir politique et pouvoir religieux. Le pape est bien un chef d'Etat, et il se permet d'intervenir comme tel, alors que ses interventions visent avant tout à conforter l'influence de la religion catholique et la reconnaissance de ses plus hauts dignitaires comme membres incontournables des débats politiques et sociétaux.
Il y a bien ces deux luttes, présentes dans cette représentation publique : la lutte pour rester la religion dont se réclament le plus grand nombre de gens dans le monde, et la lutte pour la légitimité des dignitaires religieux dans les débats et les medias.
Les medias jouent un rôle d'amplificateur d'influence, et les politiques ne sont pas les seuls à en user. Les religions et leurs représentants en ont appris aussi tous les rouages. Une soirée comme celle d'aujourd'hui nous démontre, encore une fois, que l'Eglise catholique sait organiser des spectacles mondiaux, par télévisions interposées, pour ramener l'attention à elle. Il faut voir comment, tous ces jours-ci, France 2 a suivi les moindres déplacements d'un évêque comme celui de Lyon, dont les journalistes ont vite oublié les propos extrêmement choquants sur le mariage pour tous, par exemple. L'ampleur de la médiatisation d'un événement réservé, en principe, aux catholiques, permet d'occulter toutes les positions rétrogrades d'une institution dépassée, et de la replacer pour un temps au centre de l'information mondiale, recréant ainsi une légitimité consensuelle à cette institution, et effaçant pour longtemps la possibilité de discuter et de contrer ces positions contestées.
Une réflexion sur la société devrait aborder la place des religions. Et celles-ci devraient être mises sur le même plan que les autres convictions philosophiques, dont l'athéisme (ou incroyance), aussi bien que l'adhésion à l'épicurisme, au stoïcisme, etc... Mais surtout, la place de ces convictions ne devrait en aucune manière affecter les discussions et décisions qui concernent le « vivre ensemble », c'est à dire la politique au sens noble.
Jacques Ménochet