Compte-rendu de la réunion de la commission "culture"

Publié le par ababordtoute

Ce jeudi 2 février, étaient présents Claude Juillière, Dominique Diéterlé et Jacques Ménochet.

Seule Dominique a pris des notes, et elle a écrit ce compte-rendu, que j'ai largement augmenté de mes réflexions esquissées ce jour-là, et développées dans ce papier.

 

Jacques Ménochet

 

 

 

Notre réflexion est partie d’un texte proposé par Dominique dont voici quelques extraits:

 

« Refuser au peuple l’accès, pas seulement à la consommation, mais à l’expression culturelle, c’est lui dénier sa qualité d’être social, d’être humain, d’être autre chose que l’animal ou la brute. La capacité à la maîtrise de cette expression s’appelle la culture, elle donne naissance à l’art et à la transcendance des besoins purement biologiques.

« Politiquement parlant nous devons revendiquer l’éducation artistique, l’accès de tous à toutes les pratiques culturelles, et la reconnaissance de l’expression des cultures populaires dans leur diversité créative comme aussi essentiels que le droit à la santé, au travail, au logement.

« Les pratiques culturelles permettent aussi de sceller les groupes humains autour d’actions communes qui sont facteur de cohésion, d’appartenance et satisfont le besoin de reconnaissance qu’un seul individu pourrait avoir du mal à faire valoir.

« La culture n’est pas la cerise sur le gâteau du partage social, elle pourrait en être le ferment.

Réserver l’action sociale à ceux qui sont en galère, et la culture à ceux qui sont à l’aise est une forme de discrimination : dans une société plus égalitaire, ou plus juste, tout le monde devrait avoir le droit au « beau », et pas seulement à l’utile. »

 

Nous essayons tout d’abord de nommer ce que représente le mot « culture » pour chacun de nous.

 

Claude : La culture commence par la fréquentation des œuvres d’art et l’accès à des connaissances qui permettent de s’élever intellectuellement et de mieux comprendre la société dans laquelle nous vivons.

Nous discutons ensuite sur ce terme « élever » qui peut paraître ambigu. Ce mot ne doit pas donner l’impression que l’on dit à certains : votre niveau n’est pas assez haut ! La culture est-elle un but vers lequel on doit aller pour être plus intelligent ? si on n’essaye pas de « s’élever » restera-t-on un paria ? En effet on constate que beaucoup d’artistes ou d’intellectuels sont issus de milieux favorisés, que les classes dominantes confisquent la culture parce qu’elles ont la formation suffisante pour comprendre, pourtant les cultures populaires sont aussi l’expression d’une curiosité, d’un savoir faire, d’un apprentissage, d’une créativité autant que la culture savante ou bourgeoise.

 

Jacques donne l’exemple de l’apprentissage musical : plutôt que de partir de la musique savante ou ancienne comme c’est souvent le cas dans les écoles de musique, ne pourrait on pas sensibiliser d’abord les enfants par des choses qui leur sont familières ; partir d’un centre connu pour aller vers la complexité de l’inconnu ?

 

Additif (Jacques) : "ce n'est pas exactement ce que je tentais de formuler. Je suis opposé à une démarche pédagogique ou didactique qui consiste bien souvent à partir de l'interprétation de l'histoire de telle ou telle discipline artistique ou culturelle pour en faire la clé obligatoire à un éventuel accès à la culture. Or, qu'est-ce que « l'accès à la culture » ? Sinon la tentative de comprendre le monde dans lequel on est, et d'agir dans ce monde. Or, ce monde nous est contemporain, et il serait donc beaucoup plus cohérent d'interroger ce monde contemporain et de s'appuyer pour cela sur les interprétations ou les expressions qu'en donnent les créateurs contemporains, et de les rejoindre en participant soi-même à ces manifestations culturelles, par une pratique effective.

 

En pratique, cela donnerait, pour l'enseignement de la musique, par exemple, une priorité à la création contemporaine, dans ses multiples expressions (musique savante dite « contemporaine », musiques populaires de tous styles tels que jazz, rock, musiques traditionnelles mais vivantes, etc...). A charge aux enseignants de donner certaines clés de ces musiques en remontant vers les périodes antérieures, qui en portent le germe. Alors que la démarche actuelle dans les centres d'enseignement artistique est bien souvent l'inverse : on part des origines, et souvent on s'arrête au 19e siècle, ou au début du 20ème siècle, si bien que les musiques dites « contemporaines », qu'elles soient « savantes » ou populaires, restent inaccessibles aux élèves. Seules certaines musiques contemporaines populaires (rock, etc...) restent accessibles, mais par d'autres voies, telles que la transmission directe entre jeunes, par la pratique et l'écoute, qui sont une bonne école, bien sûr, mais qui sont ignorées par les centres d'enseignement. D'où cette coupure entre élèves des écoles de musique, qui (pour ceux qui vont le plus loin) maîtrisent des codes, comme le solfège, et une approche technique « classique » des instruments, et les jeunes qui ont appris sur le tas. Ces deux mondes se rejoignent rarement, et n'ont souvent aucune pratique musicale à partager, tant elles sont différentes. Mettez ensemble deux guitaristes, par exemple, l'un issu d'une école de musique traditionnelle, qui va jouer des morceaux écrits de musique « classique », et l'autre formé sur le tas à une musique « rock » ou autre, ils ne peuvent pas jouer ensemble, dans la plupart des cas, car ils n'ont pas les clés pour trouver une expression commune.

Il serait sans doute trop caricatural d'y voir seulement une coupure de classes sociales, bien qu'une tendance lourde existe, montrant que des jeunes issus de milieux essentiellement populaires passent par la voie de la transmission directe, alors que majoritairement, les jeunes des classes moyennes et supérieures (mais quand arrêtera-t-on de qualifier ainsi, en sociologie, la diversité des milieux sociaux?) passent par l'enseignement traditionnel. Il faut aller au-delà de cette description sociologique, et mettre en cause l'organisation même de ces enseignements. Si le but est de créer une élite culturelle qui va partager des codes et des modes de vie accessibles seulement à une minorité, il faut le dire clairement. Or, c'est bien à ce résultat qu'aboutit, la plupart du temps, l'enseignement artistique, une fois que beaucoup de jeunes d'origine populaire l'ont abandonné, car la possession des codes et des techniques devient de plus en plus sélective lorsqu'on avance dans le cadre de cet enseignement."

 

La culture est elle un outil pour éveiller la curiosité ? aider à penser ? acquérir une base de connaissances ? transformer la société ? former le jugement ?

 

Tous les humains sont à la recherche d’un sens, d’une explication du monde, même ceux que la télévision ou la précarité semble « abrutir » .

Loin des données formatées par tel ou tel groupe de pensée, la culture pourrait être ce qui permet de se donner des clefs pour former une pensée critique, ouverte, et une conscience éclairée.

 

Dominique parle d’Hannah Arendt qui faisait le constat que dans l’Allemagne nazie, des gens prétendument « cultivés », artistes et intellectuels furent abusés par leur obéissance aveugle à un système fasciste, à cause d’une totale incapacité de « penser », de prendre la distance nécessaire à ce qu’elle appelle conscience, c’est à dire capacité de se juger soi même.

Jacques : "cela illustre ce qui est énoncé plus haut pour l'enseignement artistique, à savoir que l'accès à des codes et à des techniques, qu'elles soient des techniques de création, ou des techniques d'écoute, ou d'analyse d’œuvres d'art, crée la plupart du temps une élite qui va maîtriser ces codes, et, comme toute formation d'une élite, se constituer en classe supérieure, avec tous les avantages sociaux inhérents à une élite sociale, se coupant ainsi de la signification profonde d'une culture qui devrait toujours être une tentative de compréhension du monde contemporain dans toutes ses facettes. La « culture » est devenue un enjeu de classe, une source de clivage, car on a fait de sa possession, ou de son « accès » (d'où, pour moi, l'ambiguïté de ce concept), un élément majeur de « distinction », comme le disait Bourdieu, dont on fait bien comprendre aux non-initiés qu'ils n'en détiendront jamais les codes. Si bien qu'étant avant tout un marqueur de classe sociale, elle peut être complètement coupée d'une vision globale, humaniste et solidaire de la société contemporaine."

 

La culture doit nous permettre de faire émerger une autre société, de nous ouvrir à tous les groupes sociaux, sinon à quoi sert elle ?

La culture c’est donc aussi la culture partagée. Éveiller ce besoin de partage par le biais de pratiques créatives est une tâche politique, un travail pour casser la culture de classe.

 

En effet la réponse par la pratique s’oppose à l’idée d’une culture de possession, ou de type consumériste. Faire, faire ensemble, pratiquer, savoir écrire au lieu de n’être qu’un lecteur soumis à la loi des puissants, savoir produire au lieu de consommer béatement, sont des facteurs d’amélioration de la vie par la naissance d’une conscience politique, en tant que capacité d’intervention dans la vie publique.

Ceci suppose évidemment les moyens suffisants, financiers, matériels, de lieux, de formation, d’encadrement pour que chacun ait accès à toute forme d’expression de l’esprit et du corps

 

Démarches à imaginer : aller dans les quartiers, interroger les gens là où ils sont pour connaître leurs besoins et leurs envies, pour savoir ce qu’ils pourraient faire de façon immédiate, sur place, et ensemble. Les expressions de ces réponses seraient un moyen d’entrer dans l’idée même d’une culture populaire, qui peut être divertissante, tout en maintenant l’exigence d’une appropriation réelle et collective, et l’accès pour tous aux richesses culturelles de l’humanité, ici et ailleurs, aujourd’hui comme dans le passé.

Dans tous les cas la culture doit rester en rapport avec la vie, avec l’émotion, avec la pratique, sinon elle n’est qu’un objet luxueux réservé à la classe possédante.

 

 

  Un commentaire de Dominique :

 

 

merci Jacques pour ces précisions qui complètent les notes que j'avais prises "à l'arraché". En ce qui concerne la culture populaire qui s'opposerait à la culture savante, ou la culture d'aujourd'hui qui s'opposerait à celle du passé,( ce n'est pas ce que tu dis, mais ce que disent certains),je me faisais la réflexion que les pratiques artistiques sont justement un moyen pour combler ce fossé. Un jeune qui se gave de rap sur NRJ, c'est à dire en "consommateur" n'a aucune envie d'aller voir ailleurs, mais celui qui commence à écrire, à composer, à chercher les mots et les musiques qui correspondent à son désir d'expression, devient un acteur artiste(fût -il amateur). Cela l'oblige peu ou prou à explorer le temps et l'espace, la grammaire, le dictionnaire, et les musiques du temps passé afin de répondre à sa nécessité artistique. Je pense que c'est un peu la même chose pour le graff, ou pour la danse, ou toute autre forme d'expression... Il advient un moment où l'on veut être meilleur, où l'on se sent une envie de toucher d'autres publics, de s'aventurer dans d'autres chemins et pour cela on a peut être besoin d'une forme d'apprentissage culturel qui relie le passé au présent, et qui ne se limite pas à une seule couleur. Si la culture ne nous rend pas acteurs, mais seulement possesseur (d'une œuvre, d'un savoir ou d'une technique), elle manque son but et devient même stérilisante

Commentaire n°1 posté par dominique dieterlé aujourd'hui à 12h14



 

 

 

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A
Bonjour<br /> Comme je suis un peu malade je trouve un peu de temps pour divaguer un peu.<br /> Je ne sais pas pourquoi mais le mot culture me gonfle .Il faut bien qu’il y ait des mots pour parler des choses. Peut être que la culture des gens c’est comme la culture du sol pour se nourrir.<br /> Peut être que si on ne se nourrit pas on meure ?<br /> Avant on se nourrissait de chasses et de cueillettes.<br /> Peut être que c’est le besoin qui nous pousse ? Peut être que l’on se sent seul et que l’on cherche un substitut au rien. .insupportable. Peut être que l’on cherche à communiquer ..avec les autres<br /> ..ou avec soit même.<br /> Peut que c’est une honte de construire des théâtres ..ou des églises ,alors que le tiers du monde crève d’une faim plus tangible ?<br /> Peut être que la honte serait encore plus grande de ne pas le faire et de réduire l’homme à un tube digestif ?<br /> Peut être que la culture, comme dit l’autre, » c’est ce qui reste quand on a tout oublié » ?<br /> Peut être que les Arts avec un grand A sont le signifiant ou plutôt l’insignifiant de la culture ?<br /> Peut être que toutes les cultures se valent…comme toutes les civilisations ?<br /> Peut être qu’il y a un lien entre les savoirs et la culture.. ? Peut être pas ?<br /> Peut être il y a t-il une condescendance à vouloir promouvoir la culture ?<br /> Peut être que l’on voudrait que « les autres nous ressemblent.. ou nous comprennent ?<br /> Peut être que j’ai de la fièvre ?
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